Chaleur et travail : quels sont vos droits ?

Publié le 11/07/2018
Par Service juridique- CFDT

Y a t-il une température au-delà de laquelle un salarié ne peut plus travailler ? L’employeur a t-il l’obligation d’installer la climatisation sur le lieu de travail ? Autant de questions qui se posent lorsqu’arrivent les grosses chaleurs d’été, voire la canicule. Si la loi ne fixe pas de température maximale, elle prévoit néanmoins de nombreux aménagements et mesures afin de concilier au mieux chaleur et travail.

  • La loi ne prévoit pas de température maximale

Qu’il s’agisse d’une circonstance extérieure (chaleur, canicule, etc) ou liée à l’environnement de travail (certaines machines dégagent de fortes chaleurs), la loi ne prévoit pas spécifiquement de température au-dessus de laquelle un salarié peut quitter son poste de travail.

D’une façon plus générale en revanche, il existe un droit de retrait pour les salariés lorsqu’ils estiment qu’un danger grave et imminent menace leur vie ou leur santé, comme nous allons le voir.

  • Quelles sont les obligations de l’employeur ?

L’employeur a tout d’abord une obligation générale en matière de santé et de sécurité lui imposant de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs (mesures de prévention, information et mise en place d’une organisation et de moyens adaptés (1)). Mais l’employeur est également tenu d’adapter ces mesures en cas de changement de circonstances, telles que l’apparition de fortes chaleurs par exemple.

Ensuite, le Code du travail consacre plusieurs articles précisant les obligations de l’employeur en la matière. Ce dernier doit notamment :

– mettre à la disposition des travailleurs de l’eau potable et fraîche pour la boisson : l’employeur détermine l’emplacement des postes de distribution des boissons à proximité des postes de travail et dans un endroit remplissant toutes les conditions d’hygiène et de conservation. Lorsque des conditions particulières de travail amènent les salariés à se désaltérer fréquemment, l’employeur doit leur mettre à disposition au moins une boisson non alcoolisée (2) ;

– dans les locaux fermés, l’employeur doit veiller à ce que l’air soit renouvelé et ventilé afin d’éviter les élévations exagérées de température (3).

Attention : la loi n’oblige pas l’employeur à installer un dispositif de climatisation !

Enfin, d’autres dispositions spécifiques et propres à certains secteurs d’activité sont prévues. C’est par exemple le cas, pour les salariés des entreprises de bâtiment et de travaux publics, pour lesquels l’employeur peut décider, en cas d’intempéries et après avis du comité social et économique, de l’arrêt du travail (4).

Si le Code du travail ne donne pas d’indication précise sur les températures maximales, au-delà desquelles vous pouvez vous arrêter de travailler, l’INRS et la CNAMTS sont venus faire quelques recommandations.

Ainsi, il est précisé que le travail par forte chaleur, et notamment au-dessus de 33°C, présente des dangers pour la santé des travailleurs. Des mesures préventives simples et efficaces permettent de remédier aux effets de la chaleur :
– travailler de préférence aux heures les moins chaudes,
– effectuer une rotation des tâches avec les postes les moins exposés,
– augmenter la fréquence des pauses,
– limiter le travail physique,
– installer des sources d’eau fraîche à proximité des postes de travail,
– aménager des aires de repos climatisées ou des zones d’ombre…

Par ailleurs, l’employeur est tenu de respecter les recommandations prescrites dans le cadre du plan national canicule.

Attention, vous avez également l’obligation de vous conformer aux directives de votre employeur lorsqu’il s’agit de veiller à votre santé ainsi qu’à celle de vos collègues !

  • Le droit de retrait des salariés

Dans certaines circonstances, vous avez le droit de quitter votre poste de travail. C’est le cas lorsque vous êtes face à une situation qui présente un danger grave et imminent pour votre vie ou votre santé(5). Vous devez alors en alerter immédiatement votre employeur et vous retirer d’une telle situation.
L’employeur ne pourra alors pas vous demander de reprendre votre activité tant que persiste ce danger.

Attention : le droit de retrait ne doit pas créer pour autrui une nouvelle situation de danger grave et imminent !

Enfin, le représentant du personnel au CSE dispose également d’un droit d’alerte lorsqu’il constate une cause de danger grave et imminent, notamment par l’intermédiaire d’un travailleur (6).

(1) Art L.4121-1 à L. 4121-5 C.trav.
(2) Art R.4225-2 à R. 4225-4 C.trav.
(3) Art R.4222-1 et s. C.trav.
(4) Art L.5424-9 C.trav.
(5) Art L.4131-1 et s. C.trav.
(6) Art L.4131-2, art. L.4132-1 et s. C.trav.

 

Au-delà de 33 °C, évacuez vos salariés !

Au-delà de 33 °C, évacuez vos salariés !

L’INRS (Institut National de Recherche et de Sécurité) rappelle qu’ « au-delà de 30°C pour une activité sédentaire, et 28°C pour un travail nécessitant une activité physique, la chaleur peut constituer un risque pour les salariés. »

L’INRS (Institut National de Recherche et de Sécurité) précise que « le travail par fortes chaleurs et notamment au-dessus de 33 °C présente des dangers… La canicule ou des conditions inhabituelles de chaleur sont à l’origine de troubles pour la santé voire d’accidents du travail dont certains peuvent être mortels. Les risques liés au travail par fortes chaleurs en été doivent être repérés et le travail adapté. »

Dans sa recommandation R 226, la CNAMTS (Caisse Nationale d’Assurance Maladie des Travailleurs Salariés) rappelle qu’« il est recommandé aux chefs d’entreprises de faire évacuer le personnel des bureaux quand les conditions d’hygiène et de sécurité deviennent mauvaises. Ces conditions sont les suivantes :

Température résultante :
Eté : 34 °C
Hiver : 14 °C

Lorsque l’entreprise n’aura pas les moyens de déterminer la température résultante, il pourra être admis de prendre en première approximation une température sèche maximale de 33 °C en été et une température minimale de 16 °C en hiver. Il est précisé que la température sèche doit être mesurée à l’ombre dans des conditions normales de dégagement calorifiques des machines et des locaux par le personnel »

Les employeurs doivent veiller à la sécurité et à la protection de la santé de ses salariés.

Ils doivent prendre les mesures de prévention des risques professionnels nécessaires et informer et former leurs salariés sur ces risques.

Ils doivent aussi respecter certaines règles dans l’aménagement et l’utilisation des locaux de travail.

Cette obligation de sécurité et de protection est qualifiée d’obligation de résultat par la jurisprudence engageant la responsabilité des employeurs négligents.

 

L’instruction interministérielle DGS/DUS/DGOS/DGCS/ DGT/DGSCGC/2015/166 du 12 mai 2015 relative au Plan National Canicule 2015 a rappelé cette obligation :

« Au regard des articles L. 4121-1 et suivants et articles R. 4121-1 et suivants du code du travail, les employeurs ont la responsabilité de prendre les mesures nécessaires visant à assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs de leurs établissements, en tenant compte notamment des conditions climatiques.

Le décret n°2008-1382 du 19 décembre 2008, relatif à la protection des travailleurs exposés à des conditions climatiques particulières, a notamment complété l’article R. 4121-1 du code du travail.

Celui-ci prévoit désormais que tout employeur doit prendre en considération les « ambiances thermiques », dont le risque de « fortes chaleurs », dans le cadre de sa démarche d’évaluation des risques, de l’élaboration du Document Unique d’Evaluation des Risques (DUER), et de la mise en oeuvre d’un plan d’actions prévoyant des mesures correctives. »


Employeurs : je vous conseille vivement de ne pas ignorer les recommandations de l’INRS et de la CNAMTS :

 « au-delà de 30°C pour une activité sédentaire, et 28°C pour un travail nécessitant une activité physique, la chaleur peut constituer un risque pour les salariés. »

 « le travail par fortes chaleurs et notamment au-dessus de 33 °C présente des dangers »

 Au-delà de 33 °C, évacuez vos salariés !

Éric ROCHEBLAVE
Avocat au Barreau de Montpellier
Spécialiste en Droit du Travail et Droit de la Sécurité Sociale
http://www.rocheblave.com

 

 

 

Éga pro femmes-hommes : les syndicats veulent un nouvel accord !

Publié le 24/07/2018
Par CFDT FP

La CFDT et sept autres organisations syndicales de la Fonction publique, sauf FO, demandent au ministre Olivier Dussopt la négociation d’un nouvel accord « Égalité professionnelle Femmes-Hommes » qui permette d’aller au-delà de celui de 2013 et qui débouche sur l’instauration de mesures contraignantes pour les employeurs publics.

Les organisations syndicales demandent notamment :

  • revalorisation des métiers et filières à prédominance féminine avec comme finalité la négociation de grilles indiciaires ;
  • prise en compte de la pénibilité des métiers à prédominance féminine ;
  • neutralisation effective et réelle des effets des congés maternité, des congés afférents à la grossesse, congés parentaux et toutes absences liées à la grossesse et à l’éducation des enfants sur les carrières ;
  • développement des dispositifs de garde d’enfants adaptés ;
  • mise en œuvre de mesures contraignantes pour les employeurs publics concernant la prévention et la lutte contre les violences sexistes et sexuelles.

 

 

 

 

Infirmiers en pratique avancée : un nouveau métier, des masters en septembre

Par Sciences et Avenir avec AFP le 21.07.2018 à 12h00

Les futurs « infirmiers en pratique avancée », des soignants aux compétences élargies, seront formés dès septembre 2018 et exerceront à l’issue de leur master en vertu d’un décret qui entérine la naissance du métier.

Tension bras
AFP/Archives – PHILIPPE HUGUEN

C’est un nouveau métier à la frontière entre l’infirmier et le médecin. Prévu par la loi Santé de 2016 et existant déjà au Royaume-Uni, aux États-Unis ou au Canada, il a fait l’objet de plus d’un an de négociations houleuses, les médecins craignant de perdre la main dans le suivi du patient. Expert, car formé dans un domaine de spécialité en particulier, l’infirmier en pratique avancée (IPA) pourra « participer à la prise en charge globale des patients » dont le « suivi » lui sera « confié par un médecin« , précise le décret publié jeudi 19 juillet 2018 au Journal officiel.

Domaines partagés

Trois domaines d’intervention sont prévus, au choix du futur IPA : « pathologies chroniques stabilisées, prévention et polypathologies courantes en soins primaires« , avec une liste précise de pathologies concernées comme le diabète ou la maladie d’Alzheimer, « oncologie et hémato-oncologie » et enfin « maladie rénale chronique, dialyse, transplantation rénale« . Toujours « dans le respect du parcours de soins » et dans une équipe coordonnée par un médecin, l’IPA pourra « conduire un entretien avec le patient« , retracer ses antécédents et « procéder à son examen clinique« . Il sera habilité à effectuer « des actes techniques« , à prescrire certains médicaments, dispositifs médicaux « non soumis à prescription médicale obligatoire« , et certains examens de biologie médicale.

Il pourra « renouveler, en les adaptant si besoin« , certaines prescriptions médicales. L’infirmier en pratique avancée aura aussi la possibilité de « conduire toute activité d’orientation, d’éducation, de prévention ou de dépistage qu’il juge nécessaire« . Il effectuera « tout acte d’évaluation« , de « conclusion » ou de surveillance clinique, « consistant à adapter le suivi du patient en fonction des résultats » des examens complémentaires « ou de l’environnement global du patient« . L’IPA participera enfin à « l’organisation des parcours » entre les soins de premier recours, les médecins spécialistes et les établissements de santé ou médico-sociaux.

Un « protocole d’organisation » devra être établi entre le médecin et l’IPA pour préciser les règles de leur « collaboration« . Enfin, l’IPA pourra, au sein de son équipe, « contribuer à l’analyse et à l’évaluation des pratiques professionnelles infirmières, à leur amélioration ainsi qu’à la diffusion de données probantes » et « à la production de connaissances en participant aux travaux de recherche relatifs à l’exercice infirmier« , ce qui était une forte demande des organisations syndicales.

« Même si les textes auraient pu aller plus loin en donnant davantage d’autonomie aux futurs IPA, la création de ce nouveau professionnel de santé constitue une réelle avancée pour la profession d’une part, mais surtout pour l’amélioration de l’accès aux soins« , a réagi dans un communiqué le président de l’Ordre national des infirmiers, Patrick Chamboredon. Face au « vieillissement de la population« , à « l’explosion des maladies chroniques » et à « l’inégale répartition des professionnels de santé sur le territoire« , l’IPA contribuera « à combler un déficit dans l’offre de soins« , s’est-il réjoui. Le gouvernement a selon lui « promis » de former 5.000 IPA avant la fin du quinquennat.

Textes de référence : 18 Décret n° 2018-629 du 18 juillet 2018 relatif à l’exercice infirmier en pratique avancée
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000037218115&dateTexte=&categorieLien=id

et 22 Arrêté du 18 juillet 2018 fixant les listes permettant l’exercice infirmier en pratique avancée en application de l’article R. 4301-3 du code de santé publique
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000037218201&dateTexte=&categorieLien=id

« Il faut arrêter cette politique de destruction des hôpitaux » : 175 médecins lancent un SOS à Edouard Philippe

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Dans une lettre ouverte au Premier ministre, 175 médecins hospitaliers et libéraux dénoncent la dégradation de la situation des hôpitaux français et « une mise en danger de la vie d’autrui ». Sur LCI, Olivier Varnet, l’un des signataires, estime que « les patients ne sont plus soignés comme ils devraient l’être ».

Ils dénoncent ni plus ni moins qu’une « mise en danger de la vie d’autrui ». Dans une lettre adressée à Edouard Philippe, rendue publique dimanche, 175 médecins hospitaliers et libéraux dénoncent la dégradation de la qualité des soins et demandent au Premier ministre l’ouverture de discussions sur la situation des hôpitaux.

Cette lettre, qui fait suite à une première adresse à la ministre Agnès Buzyn en septembre dernier – restée sans réponse selon eux-, pointe notamment le manque de moyens et les dangers liés à un nouveau train d’économie de 1.2 milliard d’euros. 

 

Invité de LCI, l’un des signataires, Olivier Varnet, a appelé le gouvernement à « arrêter cette politique de destruction des hôpitaux ». Pour le neurologue de l’hôpital de Gonesse, secrétaire général du Syndicat national des médecins hospitaliers FO, il faut mettre fin à « la politique de réduction des budgets » qui s’est traduite par « la baisse des tarifs hospitaliers » et les réductions de personnels. « On le voit tous les jours », assure le médecin, « un certain nombre de patients ne sont plus soignés comme ils devraient l’être ». 

« Il s’agit de stopper immédiatement toute fermeture de lit, suppression de poste soignant et d’embaucher du personnel formé ou à former au plus vite », plaident dans leur lettre les soignants, qui demandent à être reçus à Matignon. 

 

Laurent Berger : « Notre système de retraites est injuste »

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Laurent Berger, au siège de la CFDT, à Paris, le jeudi 5 juillet. (VALERIO VINCENZO POUR  »L’OBS »)

Pour le secrétaire général de la CFDT, la retraite par points doit permettre plus de solidarité et de justice sociale.

Par Baptiste Legrand et Claude Soula      L’Obs

 

L’annonce de la réforme des retraites inquiète déjà beaucoup de Français… mais vous semblez l’approuver. Pourquoi ouvrir ce chantier ?

Nous n’approuvons rien a priori. Mais nous constatons que le système actuel est injuste, comme nous l’ont écrit les trois quarts des 95.000 participants à la consultation « Parlons retraites » que nous avons lancée. Il faut donc consolider notre système de retraite par répartition et le faire évoluer vers plus de justice sociale et plus de solidité.

Il faut aussi lui apporter plus de lisibilité, car sinon les gens n’y adhèrent pas. Le consentement à la solidarité intergénérationnelle passe par la confiance.

Ce sont de grands principes louables, mais les futurs retraités s’interrogent sur le montant de leur pension… Quand on modifie les règles, est-ce qu’on ne fait pas forcément des perdants ?

Et notre système actuel, il ne fait pas de perdants ? Ce ne sont pas les femmes qui ont les pensions les plus faibles ? Ce ne sont pas ceux qui ont commencé à travailler tôt et qui cotisent plus longtemps ? Ce ne sont pas ceux qui ont connu le chômage et qui galèrent pour obtenir leurs droits à la retraite ? Cessons de considérer que la situation actuelle est satisfaisante ! Alors faire des gagnants et des perdants, je ne vois pas bien ce que cela veut dire, d’autant plus qu’il est possible, en s’adossant à un régime universel mais pas unique, de tenir compte des spécificités professionnelles.

 

 

 

 

 

Le défi de la protection des lanceurs d’alerte

Publié le 15/05/2018
Par Claire Nillus et Didier Blain

La CFDT est en première ligne pour protéger ceux qui dénoncent des dysfonctionnements dans leur entreprise ou leur administration. Un combat syndical que met en lumière un ouvrage de la CFDT-Cadres qui vient de paraître.

 

OserLAlerteCouv

Prothèses PIP, scandale du Mediator, affaire Luxleaks… Ces révélations au retentissement médiatique international ont fait entrer les lanceurs d’alerte dans le débat public. Moins connus sont ceux qui, quotidiennement exposés à des dilemmes éthiques au sein de leur entreprise ou leur administration, osent dénoncer l’inacceptable, refusent de jouer avec les contraintes, les contradictions et les règles de sécurité. En 2017, la CFDT-Cadres a lancé un appel à témoignages pour recueillir la parole de ceux qui ont franchi le pas de lancer l’alerte. Premier constat : ils ont tous eu de graves soucis. Deuxième constat : ils étaient généralement isolés. Jean-Paul Bouchet, ancien secrétaire général de la CFDT-Cadres, et Marie-Noëlle Auberger, ancienne secrétaire nationale de la CFDT-Cadres, se sont intéressés à ces « alerteurs du quotidien » auxquels ils donnent la parole dans un livre événement : Oser l’alerte ! Sortir du silence au travail ?

Tous témoins

   

« C’est un outil indispensable que nous voulons diffuser le plus largement possible pour susciter des débats dans l’organisation, explique la secrétaire nationale de la CFDT, Marylise Léon. La question de l’exemplarité est inscrite dans la prochaine résolution du congrès de Rennes. Et le sujet revient régulièrement de façon préoccupante dans l’actualité, comme en ce moment avec la proposition de loi secret des affaires » (lire SH n°3637 du 26 avril 2018, p.6).

Convaincus qu’en matière de lutte contre la corruption, « toute tricherie peut faire l’objet d’une alerte », les auteurs souhaitent que cet ouvrage aide à libérer la parole des travailleurs. « Qu’ils soient salariés, fonctionnaires, contractuels, sous-traitants, bénévoles, tous peuvent être témoins de discriminations, d’actes illégaux, d’un management brutal, de malversations à la petite semaine ou de grande ampleur, d’atteintes à l’environnement, de décisions contraires à l’intérêt général, à l’intérêt social de l’entreprise, écrivent-ils. Bien souvent, au titre de leur responsabilité professionnelle, ils se mettent en danger ».

Sapin 2 : peut mieux faire !

La France a longtemps accusé un certain retard en matière de protection des lanceurs d’alerte. Une sorte de « tolérance à la corruption ordinaire », comme le signale Nicole-Marie Meyer, responsable Alerte éthique de Transparency International France. Avec diverses ONG, la CFDT s’est battue pour que la loi Sapin 2 de décembre 2016 pour la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique crée un véritable statut pour les lanceurs d’alerte. En vigueur depuis le 1er janvier 2018, la loi les protège contre toute discrimination, un licenciement, des représailles ou sanctions, et prévoit un soutien financier. Elle oblige les entreprises de plus de 50 salariés à mettre en place un dispositif de recueil des signalements et une procédure d’alerte en plusieurs étapes. Malheureusement, ce texte important ne donne pas entièrement satisfaction à la CFDT : la procédure à suivre est complexe et privilégie, dans un premier temps, le traitement interne de l’alerte. La loi ne donne pas de rôle aux organisations syndicales dans le recueil des alertes et le choix d’un référent en la matière est laissé au bon vouloir de l’employeur. « À l’épreuve des faits, le respect de la procédure Sapin 2 est difficile et semé d’embûches. Se lancer seul dans cette démarche peut s’avérer fatal pour le salarié ! », met en garde Franca Salis-Madinier, secrétaire nationale à la CFDT-Cadres et membre du comité économique social européen. « Lorsque la corruption est institutionnalisée dans l’entreprise, il est impossible d’alerter en interne », souligne Marie-Noëlle Auberger.

Comme beaucoup d’autres qui témoignent dans le livre, Jacques Poirier, ingénieur assurance qualité dans un grand laboratoire pharmaceutique (Sanofi-Aventis), l’a appris à ses dépens. Son entreprise fabrique un médicament anticoagulant à base de boyaux pur porc. Cette matière première est importée d’un pays où les normes sanitaires sont moins strictes qu’en France. Jacques constate des irrégularités dans la chaîne d’approvisionnement qui lui laissent penser que des ingrédients d’origine bovine rentrent dans le circuit. Il alerte sa hiérarchie. Bien reçus dans un premier temps, ses avertissements irritent de plus en plus les responsables qualité : mis à l’écart puis licencié à 51 ans, il n’a jamais retrouvé un emploi similaire.

Victime de harcèlement moral pour avoir dénoncé des pratiques de favoritisme dans la passation de marchés publics commises par son supérieur, Stéphane (qui souhaite rester anonyme) est venu frapper à la porte de la CFDT. Son premier contact avec une organisation syndicale. « Notre affichage en faveur d’un dialogue constructif lui semblait le plus adapté. Il ne voulait pas d’un conflit dur avec la direction, explique le délégué syndical de cette société. Nous l’avons accompagné dans toutes ses démarches. Nous lui avons également conseillé d’adhérer afin de se faire élire aux élections professionnelles qui se présentaient. C’est ce qu’il a fait et il a été élu. Aujourd’hui, rien n’est encore résolu, c’est très long, très éprouvant pour lui, mais le processus d’alerte est en cours et il est protégé. »

Une maison des lanceurs d’alerte

Jean-Paul Bouchet le souligne : il n’existe pas de démarche type de prise en charge d’une alerte mais des règles de prudence. Il est capital de trouver les bons appuis au bon moment. Parmi ceux-ci, le recours à des représentants syndicaux peut permettre de mieux « syndiquer l’alerte », c’est-à-dire l’inscrire dans une démarche collective (lire l’encadré). Pour aider les salariés à franchir le pas, la CFDT-Cadres propose, depuis dix ans, le service DilemPro : une démarche de questionnement proposée à tous les cadres et une aide personnelle au discernement pour les adhérents. « Dans tous les entretiens que nous avons avec de potentiels adhérents, les cadres veulent savoir comment exercer leurs responsabilités sans mettre en péril leur carrière », renchérit Vincent Pigache, secrétaire de l’Union départementale 92. En partenariat avec l’Observatoire des cadres, l’UD accueille un cycle de rencontres à la Défense : celle du 17 mai portera sur le thème « De la vigilance à l’alerte, l’exercice de la responsabilité en entreprise ». Prochain défi pour la CFDT : voir aboutir la création d’une Maison des lanceurs d’alerte, projet en gestation depuis 2014 avec des ONG et d’autres organisations syndicales. Un lieu pour que les personnes qui osent l’alerte puissent trouver refuge et appui ? Les salariés en ont besoin, les entreprises et la société aussi.

cnillus@cfdt.fr

      Un projet de directive européenne insatisfaisant La Commission européenne a adopté fin avril un projet de directive visant à protéger les lanceurs d’alerte dans toute l’Union européenne. De nombreux cas de violation des règles européennes seraient concernés : les appels d’offre, la sécurité alimentaire, la protection de l’environnement, la sécurité nucléaire, la protection des données privées, les services financiers, le blanchiment de l’argent et le terrorisme. Mais plusieurs organisations de la société civile estiment que le projet ne va pas assez loin. Ainsi, les lanceurs d’alerte sur l’évasion fiscale ou les infractions au détachement des travailleurs ne seraient pas protégés. La Confédération européenne des syndicats (CES) trouve « ridicule » qu’un employé « puisse dénoncer une maltraitance animale ou une atteinte à l’environnement mais pas un préjudice subi par des travailleurs ». Elle estime le champ d’application du projet de directive « tellement compliqué que (…) les travailleurs lanceurs d’alerte pourraient facilement se retrouver en dehors des dispositions légales ». La CES promet de suivre de près ce texte ; « elle réclamera des aménagements pour en combler les lacunes et éviter l’introduction de nouvelles failles. »

dblain@cfdt.fr