« Le peuple ». Marine Le Pen l’invoque en permanence. Au point d’avoir réussi l’une des plus grandes impostures de ces dernières années : faire croire que son parti, le Front national, est le parti des classes populaires, des ouvriers, des salariés, de la France d’en bas acculée par la crise économique, le chômage, la pauvreté, « des invisibles », « des oubliés ». Un vocabulaire et des références qu’elle n’a pas craint d’emprunter à la gauche de l’échiquier politique…
Son père avait déjà usé des accents de gauche à l’aube des années 2000. Elle a fini de prendre ce virage social, alors que les discours et les propositions frontistes ne sont ni neuves, ni sociales. Et que les premières victimes de son programme économique et social seront ceux-là mêmes qui votent ou qui veulent voter pour elle.
Derrière les mots, sous le vernis d’un programme ni chiffré ni détaillé, qui compile des mesures de gauche « pour faire de gauche » (soutenir les services publics, les bas salaires, le retour de la retraite à 60 ans, dégeler le point d’indice des fonctionnaires, retirer la loi sur le travail…) et des rengaines poujadistes et néolibérales (la défense des petites entreprises et des artisans étranglés par les charges et les procédures administratives, l’apprentissage à 14 ans…), ce n’est pas « une France apaisée » qu’elle vise, comme le clame le nouveau slogan du parti, mais bien une France encore plus fracturée socialement, où les solidarités seront mises à mal.
L’a-t-on vue, elle ou les élus de son parti, descendre dans les rues soutenir les ouvriers, les employés luttant pour leur emploi, leur usine, à travers la France, les PSA, Goodyear, ArcelorMittal, Doux, Alstom, Air France, etc. ? Un exemple emblématique parmi d’autres : les 24 élus frontistes du conseil régional Provence-Alpes-Côte d’Azur, dont Jean-Marie Le Pen, ont refusé de voter une motion de « solidarité » avec les 182 salariés de l’usine de thés Fralib, sacrifiés par le géant Unilever qui verse des milliards à ses actionnaires…
La finance. C’est pourtant l’ennemi, jure le Front national, pour mieux attirer les électeurs dans ses filets. En réalité, il s’oppose à la fixation d’un salaire maximum pour les grands patrons. Comme il s’oppose à l’augmentation du Smic, alors qu’il martèle qu’il est le parti du « redressement du pouvoir d’achat des Français ». « Cela entraîne une charge supplémentaire pour les entreprises, qui sont déjà dans une très grande fragilité dans notre pays », a décrété Marine Le Pen. Mais le Smic, régulièrement présenté comme « un problème » en France, rarement comme un instrument de justice sociale, c’est le salaire minimum d’environ 3,1 millions de salariés. Soit 13 % de l’ensemble des salariés en France, qui gagnent 1 150 euros net par mois.
Les mesures de Le Pen pour le pouvoir d’achat sont encore moins précises qu’en 2012, où elle assurait que tous les salaires jusqu’à 1 500 euros seraient revalorisés de 200 euros net par mois grâce à « l’instauration d’une contribution sociale aux importations de 3 % sur la valeur des biens importés ». Désormais, Le Pen ne parle plus que de « prime de pouvoir d’achat » pour « les bas revenus et les petites retraites ». « Elle représentera près de 80 euros par mois », annonce-t-elle au Monde. Et elle la financera avec toujours le même mécanisme de taxe sur l’importation, qui sera supporté en définitive… non pas par le grand capital, mais par les salariés et les retraités, et tous les autres consommateurs.
Sur le plan des mutations du travail, de sa raréfaction, rien. Marine Le Pen donne la priorité aux petits patrons. Elle promet d’« alléger la complexité administrative et fiscale » qui pèse sur les PME, de recentrer sur celles-ci et sur les start-up le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), et de refondre le RSI, le régime de sécurité sociale des indépendants, un des plus grands cauchemars administratifs de ces dernières années, qui cristallise la colère des entrepreneurs et est devenu un sujet de campagne (lire ici notre enquête).
Elle promet « une amnistie générale des arriérés des cotisations sociales de tous les indépendants » si elle est élue et de laisser le choix aux indépendants, soit de s’affilier au régime général, soit de conserver un système spécifique, mais sur la base de l’auto-déclaration, une souplesse qui ne va rien résoudre, surtout pas la question du niveau des cotisations à verser pour obtenir des prestations correctes.
La candidate du FN promet d’abroger la loi sur le travail tant décriée, qui a fini de flexibiliser le salariat et bouleversé des pans entiers du code du travail, notamment en matière de temps de travail. Elle assure ne pas vouloir toucher à la durée hebdomadaire légale du travail et aux 35 heures, mais elle cultive l’ambiguïté en ouvrant la porte aux dérogations « au niveau des branches professionnelles », tout en affirmant l’impossible, que ces renégociations ne peuvent se faire sans compensation salariale, et en rétablissant la défiscalisation des heures supplémentaires.
Cette défiscalisation était la mesure phare du « travailler plus pour gagner plus » de Nicolas Sarkozy en 2007, celle qui lui a permis de s’attaquer indirectement aux 35 heures et que Marine Le Pen critiquait alors vertement. Cette dernière veut aussi rétablir l’apprentissage à 14 ans, soit le retour du travail des enfants, une vieille antienne de la droite.
Autre proposition choc de Marine Le Pen : inscrire la « priorité nationale » dans la Constitution après référendum et en faire la pierre angulaire de sa politique, notamment en matière d’emploi. Le Pen veut imposer, après la sortie de l’euro, une taxe additionnelle sur toute nouvelle embauche d’employé étranger, y compris européen. Et le montant pourrait être de l’ordre de « 10 % du salaire brut mensuel du salarié étranger », selon Florian Philippot (au micro de RTL). Une telle taxe existe déjà aujourd’hui. Un employeur qui embauche un travailleur non européen pour 3 à 12 mois paye une taxe de 70 à 300 euros.
Le Pen veut privilégier les entreprises françaises dans l’attribution de marchés publics et lutter contre la directive sur les travailleurs détachés, en l’abrogeant pour mieux défendre le repli national, son obsession. Le Pen oublie, comme la droite qui marche dans ses pas avec ses clauses Molière nauséabondes, que la France, après la Pologne et l’Allemagne, est le pays qui détache le plus de travailleurs en Europe et qu’elle serait bien embêtée si l’on demandait à ces salariés de parler la langue du pays dans lequel ils échouent.
Le FN n’a jamais appelé à manifester aux côtés des Français contre les réformes libérales qui se succèdent depuis trente ans et malmènent notre système de retraites. À l’automne 2010 pourtant, le parti d’extrême droite ne cessait de dénoncer le caractère « injuste et inefficace » de la réforme Sarkozy. Sept ans plus tard, alors que l’âge légal de départ à la retraite a été maintenu par François Hollande à 62 ans, sauf pour les carrières pénibles – 60 ans –, le FN avance dans le flou et propose de fixer l’âge légal de la retraite à 60 ans, avec 40 annuités de cotisations pour percevoir une retraite à taux plein. Mais il se garde bien de dire si les salariés n’ayant pas leurs 40 ans de cotisation pourraient partir à cet âge-là. Ce qu’il promettait en 2012.
À l’époque, Marine Le Pen martelait « aux Français » : « Ne vous soumettez pas à l’escroquerie qui consiste à vous faire croire que nous n’en avons pas les moyens [du retour de l’âge légal à 60 ans – ndlr]. Nous en avons les moyens. » Si le parti joue les girouettes, c’est parce qu’il est très divisé en interne sur la question, comme le décrypte Libération, les uns, comme Le Pen père, prônant un départ à 65 ans, les autres, comme Le Pen fille, un départ à 60 ans. Concernant la pénibilité, Le Pen, qui veut supprimer le compte pénibilité instauré par Hollande pour « libérer les PME », avance qu’elle sera compensée par une majoration des annuités de retraite, sans plus de précision.
On n’a jamais vu le FN défiler aux côtés des salariés, des retraités, du public, du privé, car il a une aversion pour les syndicats. Marine Le Pen veut se la jouer « sociale », mais sans les syndicats de salariés. Elle les juge « complices » des gouvernements et « discrédités ». En 2014, elle menait la charge au micro d’Europe 1 : « Les syndicats ont refusé de s’opposer au libre-échange total. Ils défendent l’immigration qui pèse à la baisse sur les salaires ; ils défendent l’ouverture totale des frontières imposée par l’Union européenne ; ils s’opposent au protectionnisme qui est le seul moyen d’éviter la concurrence internationale déloyale ; ils s’opposent au patriotisme économique qui permet à l’État de donner un avantage dans les marchés publics aux entreprises françaises. Ils ont accepté ce modèle, ils sont discrédités. »
Le FN veut moraliser la vie syndicale par un contrôle public du financement des syndicats, ce qui reviendrait à mettre les syndicats sous la tutelle de l’État, et « instaurer une véritable liberté syndicale par la suppression du monopole de représentativité ». « Mais aujourd’hui, la liberté syndicale existe, même si elle demeure perfectible, et avec la loi de 2010, dite de modernisation du dialogue social, le monopole de représentativité issu de “l’attitude des syndicats pendant l’occupation nazie” a disparu, tenant compte de l’évolution du pluralisme syndical dans notre pays », rappelle VISA, collectif intersyndical contre le FN, avec notamment la CGT, la CFDT, Solidaires, la FSU.
Ce collectif intersyndical se demande si Le Pen « ne cherche pas plutôt à ouvrir la porte à des syndicats corporatistes (style charte du travail sous Pétain…) qui seraient “plus à même de rentrer dans des logiques de concertation constructive sans recourir au rapport de force (grève, manifestation)”, comme c’est écrit dans son programme de 2012, ou à des faux syndicats, appendices du FN, comme dans les années 1990 ».
Auteur : cfdtchfalaiseweb
Section CFDT du Centre Hospitalier de FALAISE (14). CFDT Santé Sociaux. Voir tous les articles par cfdtchfalaiseweb